Data & performances
Ce panorama des 250 premiers éditeurs de logiciels français, établi par Numeum et EY, dessine un secteur toujours solide, mais en mutation profonde. La croissance reste modeste et les tensions macro-économiques sont bien là. Pourtant, derrière les chiffres, j’ai senti un virage culturel majeur : celui d’un écosystème qui cherche à conjuguer vitesse, vision et responsabilité.
On parle beaucoup d’IA générative, de modèles, de performance technique. Mais ce que j’ai entendu ce soir-là, c’est autre chose : un changement de paradigme dans la manière même de concevoir le logiciel.
Pour la majorité des éditeurs, l’IA est une couche additionnelle : on prend un produit existant, on y ajoute une fonction “IA”, on espère que ça améliorera l’usage. C’est déjà un pas. Mais les acteurs que j’ai identifiés ne font pas cela. Ils adoptent une posture IA-first, plus précisément IA-native, ce qui signifie qu’ils ne partent pas d’un logiciel à améliorer, mais d’un problème à repenser. Ils visent un modèle agentique : identifier une tâche réelle, comprendre comment l’utilisateur l’exécute, puis construire une IA qui l’anticipe, la comprend, l’allège. Pour ceux qui sont déjà sur le marché, cela peut vouloir dire repartir presque à zéro, exploiter toutes les données accumulées et imaginer un agent plutôt qu’un module.
Ce basculement est plus radical qu’il n’y paraît. Il transforme le métier d’éditeur en celui d’architecte de comportements. Et dans ce contexte, la technicité ne suffit plus : il faut porter une proposition claire. Pourquoi ce moment est-il celui de l’IA ? Pourquoi cette entreprise ? Pourquoi ce produit change-t-il vraiment la vie d’un utilisateur ? Ce sont ces questions qui au fond distinguent les entreprises matures de celles qui restent dans le bruit. Parce que l’avantage compétitif ne vient plus seulement de la technologie. Il vient de la vitesse à comprendre ce que cette technologie change réellement et à l’incarner.
Autre signal fort de cette 15ᵉ édition : la France du logiciel ne pense plus “France → Europe → Monde”. Les éditeurs qui performent conçoivent leurs produits, leurs marques, leur discours pour être compris partout, tout de suite. Cette posture impose de penser en dehors des cadres franco-français, de sortir d’une focalisation trop produit ou trop technique. Elle impose de construire une identité forte, lisible, souple, capable de traverser les zones culturelles, de parler non seulement au client “France”, mais à l’utilisateur “global”. En ce sens, l’internationalisation cesse d’être un projet à moyen terme : elle devient un filtre, une exigence qui imprègne tout ce que fait un éditeur, du design de l’interface à la façon de raconter l’expérience.
Les enjeux sont clairs : savoir se faire comprendre rapidement, maîtriser un message cohérent et structurer une offre qui fonctionne au-delà des frontières. Lorsque cette démarche est anticipée, l’international n’est plus un horizon, mais une composante quotidienne de la stratégie produit-marché.
Le moment le plus intense de la soirée n’était pas dans les slides. Il était sur scène. Lorsque Clément Gass, président de l’association Vue du Cœur, a pris la parole, la salle s’est tue. Non-voyant, il a bouclé les 20 km de Paris en 1 h 38 min 09 s, sans assistance (et également recordman du monde de marathon chez les non-voyants). Il n’a pas parlé de conformité RGAA, ni de budgets. Il a parlé d’humain.
« Le message, c’est que vous avez la capacité de changer la vie de millions de personnes. Ce n’est pas seulement gagner deux heures dans une journée. C’est passer de “je suis mendiant” à “j’ai une place dans la société”. »
Difficile de faire plus clair.
Et pendant ce même tempo, on apprend que 60 % des éditeurs français n’ont toujours pas engagé d’audit d’accessibilité. Dans un univers où l’on parle d’agents IA, de souveraineté numérique, de deep learning, comment peut-on encore laisser des millions de personnes sur le seuil ? Incapables d’utiliser un site, un logiciel ou un service essentiel.
L’accessibilité n’est pas une contrainte réglementaire. C’est une responsabilité. C’est peut-être même la pierre angulaire d’un numérique juste, utile et humain. Et pour toutes les entreprises du secteur, ce sujet ne peut plus rester en bas de la pile.
Ce que je retiens du TOP250 2025, ce n’est pas la course technologique. C’est la transformation culturelle. Les éditeurs qui réussiront ne seront pas forcément les plus rapides ou les mieux financés. Ce seront ceux qui sauront incarner leur vision, penser global dès le premier jour et inclure réellement leurs utilisateurs dans la conception de leurs produits. Parce qu’au fond, l’innovation n’a de sens que si elle explique, touche, rassemble et transforme.
Et cette année, à la lecture du panorama comme à l’écoute des intervenants, j’ai la conviction que notre écosystème français va dans cette direction. Le logiciel français grandit. Et surtout, il s’humanise.
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